Une justice universelle ?
Nécessités et limites du droit international
Depuis les conquêtes coloniales à la fin du XVe siècle, les Etats n’ont cessé de créer des règles et des institutions afin de régir leurs interactions. Dans la poursuite d’un idéal : créer « un système de droit universel, référence morale, langage commun qui permet aux Etats d’entretenir un dialogue malgré leurs différences d’orientations politiques, économiques ou religieuses, un projet porteur d’utopies diverses et d’idéaux aussi élevés que la protection de la paix, l’égalité des peuples et la dignité des individus » [1]. Différentes juridictions ont ainsi été mises en place depuis la Seconde guerre mondiale pour tenter de garantir les droits fondamentaux au niveau régional[2] ; d’autres institutions tentent de faire respecter l’application des traités entre Etats comme la Cour de justice Internationale de l’ONU, ou de poursuivre les crimes de guerre comme la Cour pénale internationale.
En constante évolution, le droit international a, de tout temps, suscité des débats. Et soulève aujourd’hui encore de nombreuses questions, qui ont traversé les réflexions des membres du Joli collectif au gré des situations rencontrées en Suisse, au Québec, en Nouvelle Calédonie ou encore en Grèce.
Celle de sa légitimité d’abord, fréquemment brandie dans le débat public en cette période de montée des nationalismes : le droit international ne contrevient-il pas au principe de souveraineté nationale ? « Conclure un traité, s’engager dans des liens de droit international, ce n’est pas renoncer à sa souveraineté, c’est l’exercer », rappellent les professeurs Olivier Corten et Pierre Klein – même si cela implique, pour l’Etat qui s’engage, de s’exposer à ce qu’on puisse lui demander des comptes. Ainsi, « dans tous les cas où les Etats ont pris des engagements internationaux, ils ne peuvent se retrancher derrière leur souveraineté pour tenter de se soustraire à leurs engagements »… sauf à se retirer des dites institutions ou traités, comme l’ont fait le Royaume-Uni en sortant de l’Union européenne, le Canada ou le Japon en se désengageant du protocole de Kyoto sur les émissions de gaz à effet de serre, ou encore la Russie en suspendant sa participation au traité russo-américain New Start sur le désarmement nucléaire.
Quant au droit ou devoir d’ingérence (qui permet à un ou plusieurs Etats d’intervenir dans un autre sans son consentement pour raisons humanitaires), s’il peut paraître représenter une avancée majeure pour la protection des populations, il n’est pas non plus sans poser problème, la définition des cas justifiant ou non intervention étant, dans les faits, laissée à l’appréciation des grandes puissances.
Se pose ensuite la question de son efficacité. Le droit international garantit-il réellement le respect des droits des peuples et des individus à travers le monde ? Première limite : les traités n’engagent que ceux qui les signent. Or, « l’immense majorité des personnes vivant sur la planète se trouvent dans des pays qui restent en retrait des traités ou des mécanismes contraignants de contrôle ». Et même lorsqu’un Etat est signataire d’un traité, son application n’est pas forcément garantie : c’est par exemple le cas au Canada où, alors que les textes internationaux prévoient la reconnaissance de l’autodétermination interne des peuples autochtones, avec notamment une autogouvernance sur le plan de l’exploitation des ressources et la nécessité de recueillir leur consentement libre et éclairé pour toute mesure les impactant, ces principes ne sont toujours pas respectés par les autorités[3]. En réalité, faute d’autorité supérieure, de « juge à compétence obligatoire », le droit international n’est efficace que « si et dans la mesure où les Etats, spécialement les plus puissants, décident de le mettre en œuvre ».
Faut-il pour autant conclure à son inutilité ? Pour les défenseurs des droits fondamentaux rencontrés par les membres du Joli collectif – avocats, associations et ONG –, le droit international est une précieuse ressource. Aussi, bien qu’il ait été façonné par les puissants et parfois instrumentalisé par ces derniers dans la défense de leurs intérêts propres, le droit international est devenu, bon an, mal an, un outil aux mains de tous[VC1] [l2] . Ainsi la petite République de Maurice a-t-elle pu contester la mainmise du Royaume-Uni sur l’archipel des Chagos et obtenu un avis de la Cour de justice internationale tranchant en son sens. Un avis qui n’a toutefois aucune valeur contraignante, et que le Royaume-Uni a choisi d’ignorer. Mais le combat se poursuit : début 2021, c’est le tribunal international du droit de la mer qui s’est prononcé contre la souveraineté du Royaume-Uni sur l’archipel. Si l’issue demeure incertaine, pour Olivier Corten et Pierre Klein, la République de Maurice est déjà parvenue à montrer au monde que cette situation « est le résultat d’un pur rapport de force qui ne peut plus s’appuyer sur aucun fondement juridique ».
Et alors que le combat contre le changement climatique demande une coopération sans précédent des Etats, « plus que jamais, le droit international apparaît comme un terrain de lutte, et on peut rêver qu’au prix de ces luttes, il pourra peu à peu concrétiser toutes les potentialités dont il est porteur ». Pour le bien de l’humanité et, au-delà, du vivant.
[1] Bedoret, Corten, Klein, De Salamanque à Guantanamo. Une histoire du droit international, Futuropolis, 2023. Toutes les citations sont extraites de cet ouvrage.
[2] Citons la Cour Européenne des droits de l’Homme, la Cour européenne de Justice, la Commission interaméricaine des droits de l’homme ou encore la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples.
[3] https://www.liberation.fr/idees-et-debats/la-reconciliation-avec-les-peuples-autochtones-passera-par-le-changement-profond-de-la-societe-canadienne-20230809_BDZBPH5KRBDFDF3TAPOQJ6EJ3Y/